Cdj_01_20_esclavage__
esclaves au XXIe siècle
la couleur des jours 1 · automne 2011
La traite d'êtres humains,une réalité invisibleen Suisse romande
Chaque année, des centaines d'hommes et de femmes sont victimes de traite des êtres humains en Suisse, pays de transit et de destination de ce commerce d'un autre temps. Les autorités helvétiques commencent à prendre la mesure du phénomène et plusieurs outils de lutte ont été développés cette dernière décennie. Mais la Suisse romande est en retard. Dans nos cantons se cache un esclavagisme moderne à l'abri des regards et souvent des consciences. Témoignages et analyses.
sols. Rosa* ose encore quelques pas pour in -
négrier: plus de quinze heures par jour et
diquer ce qui était autrefois la fenêtre de sa
six jours sur sept, pour un salaire mensuel
«chambre», la buanderie, enterrée à gauche
de 300 francs. «J'ai été mieux payée que les
Cela faisait dix ans qu'elle n'était de la porte d'entrée. Dix ans et un procès plus autres», précise Rosa qui gagnait 800 francs
pas retournée sur les lieux. La
tard, Rosa a toujours peur en revoyant ces
par mois, ce qui reste bien au deçà des
villa se situe dans un quartier
murs. Sa patronne, épouse d'un Suisse oc -
minima. «Elle m'a engagée dans l'urgence,
tranquille de la banlieue gene-
cupant un poste important dans une banque
pour combler un trou, alors que je vivais déjà
voise. On entend le chant des
privée genevoise, a été poursuivie en justice
en Suisse. Les autres employées étaient plus
oiseaux et le bruit d'une tondeuse à gazon.
pour avoir fait venir au noir une dizaine
jeunes et elles ne connaissaient personne à
La maison familiale semble observer cette
de jeunes filles, essentiellement d'Amérique
Genève. En plus, la patronne gardait leur
femme colombienne qui habitait autrefois
latine, en vue de les exploiter chez elle comme
passeport», poursuit cette femme d'une
dans son ventre et dormait dans ses sous-
bonnes à tout faire. Avec des horaires de
quarantaine d'années au moment des faits.
«Elle m'empêchait de prendre mes congésen me donnant toujours plus de travail. Età manger, je n'avais droit qu'aux restes! Unjour, elle m'a brûlée à la main, comme ça,sans raison.» L'employée sud-américaine afini par quitter son poste mais la situation a dégénéré. Rosa s'est retrouvée enferméedans la maison, pendant que son anciennepatronne appelait la police pour la dénoncer,dans l'espoir de la voir expulsée. Prise depanique, la Colombienne sans-papiers aréussi à s'enfuir par l'arrière de la villa, esca-ladant un talus deux fois plus grand qu'elle.
«Quand je revois les lieux, je me demandecomment j'ai fait ça», s'exclame-t-elle. Cetépisode n'a pas été retenu contre la maîtressede maison qui a néanmoins été condamnéepar la justice pour usure, en raison desconditions de travail indécentes qu'elle imposait à ses employées. Les mauvais trai-tements n'ont pu être prouvés et l'achemi-nement illégale de jeunes filles afin de lesexploiter était prescrit. Une grande partiedes faits qui lui étaient reprochés n'a pas étéretenue, faute d'avoir pu entendre le témoi-gnage des domestiques, qui avaient quitté leterritoire helvétique. Au final, la «patronne»s'en est sortie avec 120 jours amende avecsursis, plus une amende, des indemnitéspour tort moral et des frais de justice, pourun montant total de 6000 francs, pas mêmele tiers du salaire mensuel de son époux.
«Sa fille m'a raconté qu'elle avait recom-mencé à au moins une reprise, faisant pas-ser une jeune domestique équatoriennecomme étant sa filleule», confie Rosa. Onne saura jamais ce qui se passe derrière lesmurs de cette maison rose si tranquille.
Elisa* est née dans un petit villaged'Afrique de l'Ouest, avec pour seul hori-zon les champs de maïs dans lesquels elletravaillait et les jupes de sa grand-mère quil'a élevée. Un jour, la jeune paysanne a faitle grand saut. Elle est partie dans la capitaleéconomique de son pays, où elle est deve-nue vendeuse d'ananas. Frank était un clientparmi d'autres. Cet homme blanc d'unetrentaine d'années lui offrait des T-shirts etlui soufflait des mots doux. «Je t'emmène-rai en Suisse, tu deviendras ma femme et tu
la couleur des jours 1 · automne 2011
pourras apprendre à lire et à écrire.» Franka tout arrangé. Elle l'a suivi dans l'avion jusqu'à Genève, puis dans le train jusqu'àLausanne. La jeune femme se souvient dechaque pas de ce trajet improbable, entre sonAfrique colorée et le studio de 16 mètrescarrés où elle sera séquestrée durant sixmois. Un micro-onde, des assiettes en plas-tique, des rideaux tirés, c'était son univers,sa Suisse à elle. Frank ramenait les clients,souvent avinés, et le paradis qu'elle espéraits'est transformé en enfer. Durant six mois,Elisa n'a jamais quitté sa prison, ni mêmeposé un pied dehors. Le jour où Frank estparti sans verrouiller la porte, désespérée etterrorisée, elle a couru de toutes ses jambesdans les rues de Lausanne, jusqu'à ce qu'elles'écroule, épuisée, et s'endorme sous un esca-lier près de la place Saint-François.
Le lendemain, la vendeuse d'ananas a
demandé de l'aide à une passante, une despremières femmes blanches à qui elle aitjamais parlé. «J'ai mal à la tête, savez-vousoù se trouve l'hôpital?» Quelles vies peuventse cacher derrière une question anodine audétour d'une rue!
Frank n'a jamais été inquiété. La jeune
Africaine n'a pas retrouvé le lieu de ses supplices, malgré l'aide de la police et de
parfois le fils de la famille à l'école, mais
longues balades dans les rues lausannoises.
En quelques dates
comme souvent dans les affaires de traite
«Je suis sûre qu'il a recommencé avec une
d'êtres humains, elle n'avait personne à qui
autre femme», confie Elisa, aujourd'hui
1905 Ratification par la Suisse de l'Arrange -
parler et ne faisait confiance à personne. «En
hébergée au Cœur des Grottes à Genève, un
ment international du 18 mai 1904 pour
Suisse, la plupart des victimes se baladent
des rares foyers en Suisse romande ayant
la répression de la traite des blanches,
librement, mais elles ont peur de dénoncer
une expérience dans la prise en charge de
soit la première convention internatio-
leur tortionnaire, parce qu'elles viennent
victimes de traite d'êtres humains. La mai-
nale intervenant contre la traite des êtres
de régions où la police est corrompue et
son est aménagée chaleureusement dans ce
indigne de confiance, parce qu'il y a des
quartier non loin de la gare.
2003 Fedpol crée un commissariat spécifique
menaces sur leur famille restée au pays ou
pour lutter notamment contre la traite
Des bureaux de la fondation s'élève la voix
simplement parce qu'elles sont isolées, dé -
des êtres humains. Début des activités
chaleureuse d'Anne-Marie von Arx-Vernon,
pendantes et sous l'emprise psychologique
du SCOTT, Service de coordination contre
pendue au téléphone. La directrice adjointe,
de leurs bourreaux», explique Anne-Marie
la traite d'êtres humains et le trafic de
l'œil dynamique et la révolte à fleur de
von Arx-Vernon. «Fatima a porté plainte,
migrants. Son bureau de direction per-
peau, ne s'habituera jamais aux récits tour-
elle a fait preuve d'un grand courage et la
manent au sein de Fedpol est créé en
mentés de ses pensionnaires, femmes vio-
police la prend très au sérieux.»
lentées ou en situation d'extrême précarité.
Très peu de cas de traite d'êtres humains
Zurich est le premier canton suisse à
Une trentaine d'entre elles sont actuellement
constituer un mécanisme de coopération
aboutissent devant les tribunaux helvétiques.
hébergées au Cœur des Grottes avec pres que
interservices pour lutter contre la traite
Depuis 2001, la justice a prononcé entre
autant d'enfants. Parmi ces rescapées de la
d'êtres humains. En Suisse romande, Fri -
deux et douze condamnations par an, alors
« Souvent, j'avais faim,
vie, treize ont été victimes de traite d'êtres
bourg s'est doté d'un tel mécanisme en
qu'il y aurait chaque année en Suisse entre
mais si je me servais dans
humains, des femmes emmenées en Suisse
2007, Vaud en 2009, Genève en 2010.
1500 et 3000 victimes, selon une estimation
le frigo, j'étais battue.»
par la ruse à des fins de prostitution ou
2006 Ratification par la Suisse des conven-
de la police fédérale datant de 2002. De puis,
d'exploitation au travail. «Genève en tant
tions des Nations unies contre la traite
plus personne n'a osé articuler de chiffres
Fatima, 17 ans, victime de traite
que canton frontière est attractif pour toutes
des êtres humains et la vente d'enfants,
tant ce marché souterrain est difficile à
à des fins d'exploitation au travail
sortes de trafics et celui d'êtres humains est
dont le Protocole de Palerme qui élargit
la définition de traite aux hommes et
parmi les plus lucratifs», analyse Anne-Marie
aux enfants, ainsi qu'à l'exploitation de
von Arx-Vernon, consciente de l'ampleur
A Berne, les locaux de Fedpol, la police
la force de travail et le trafic d'organes.
du phénomène en Europe. Selon Europol,
fédérale, se situent dans une petite ruelle
Entrée en vigueur d'un nouvel article
250 000 personnes seraient victimes de cet
sans issue et apparemment sans histoire.
du Code pénal suisse «Traite d'êtres
esclavagisme moderne, dont les retombées
Pourtant, dans ces bâtiments peints d'un
« Frank m'a menacée
financières s'élèvent en milliards. «Ces
rouge vif se traitent des enquêtes haute-
de me tuer et de me jeter
Une formation spécialisée pour lutter
femmes ont besoin d'un cocon pour se re -
contre la traite d'êtres humains est déve-
ment sensibles. Quelque 350 personnes
construire et commencer à parler. Certaines
loppée par l'Institut suisse de police. Le
travaillent derrière ces murs, qu'on ne peut
Si je disparaissais,
mettent des mois avant de raconter ce qui
premier cours destiné aux Romands a
franchir sans tout un attirail de badges et
leur est arrivé.»
lieu en 2009.
de clés. Ici, on lutte contre le terrorisme, le
2008 Les victimes de traite portant plainte ont
grand banditisme, le blanchiment d'argent,
Au rez-de-chaussée de cette bâtisse
droit à un permis de séjour provisoire.
la cybercriminalité, on collabore avec des
Elisa, victime de traite
du XIXe siècle se trouve une dizaine de
2011 Le Conseil des Etats accepte un arrêté
polices du monde entier via Europol et
à des fins de prostitution
petites chambrettes destinées aux pension-
permettant la ratification par la Suisse
Interpol et on mène des investigations se -
naires sans enfant. Des draps sont pendus
de la Convention européenne contre la
crètes. Au cœur de cette fourmilière, une
au plafond pour rendre l'espace plus convi-
traite des êtres humains, qui prévoit
cellule composée de sept personnes est char-
notamment des dispositions plus contrai-
vial, mais les lieux restent exigus. «C'est
gée de coordonner au niveau fédéral les
gnantes en matière de protection des
mignon comme des cabines de bateaux»,
enquêtes liées à la traite des êtres humains
témoins. Le Conseil national doit se pro -
commente la directrice adjointe.
et au trafic de migrants. Sept personnes qui
« Je n'ai jamais raconté
noncer lors de la session de septembre.
Fatima* habite ici depuis cinq mois, lors -
recoupent des données et font le lien entre
à ma famille ce qui
qu'elle accepte de raconter son histoire. Elle
les polices cantonales qui travaillent sur le
m'était arrivé.»
est assise sur son lit, les épaules ramassées
terrain et les autorités des pays de prove-
comme si elle cherchait à disparaître. Elle
rettes qui tatouent sa peau. «Je me faisais
nance, de transit, voire de destination de
Rosa, victime d'esclavage domestique
parle lentement et doucement. Un murmure
battre sous n'importe quel prétexte», té -
ces affaires transfrontalières extrêmement
qui contraste avec la violence de son récit.
moigne la jeune fille.
complexes. «En Suisse, nous sommes rare-
Fatima a 17 ans. Elle vient du Maghreb.
Fatima se levait à 4 h du matin et s'atte-
ment confrontés à de grands réseaux ma -
Elle a quitté son pays à 14 ans pour, croyait-
lait aux travaux domestiques à longueur de
fieux, comme on pourrait l'imaginer, mais
elle, venir faire des études en Suisse. «Un
journée. «Parfois, lorsque j'avais fini de net -
plutôt à de petites structures presque fami-
ami de ma mère a organisé mon séjour»,
toyer, la dame me faisait tout recommencer
liales. Ça parait moins effrayant mais c'est
précise l'adolescente, qui s'est retrouvée à
à zéro.» Le soir, elle veillait dans le couloir
d'autant plus pernicieux car, souvent, les tra -
travailler comme petite bonne dans des
de l'appartement, en attendant le coucher
fiquants ont des liens étroits avec les proches
conditions proches de l'esclavage. Pas de
de ses deux patronnes. «Je n'osais pas dor-
restés au pays, ce qui empêche les victimes
chambre, elle dormait dans le couloir. Pas
mir avant elles», indique l'adolescente, qui
de les dénoncer. C'est une des grandes dif-
de congé, ni de répit, la jeune Maghrébine
n'avait même pas le droit de pleurer.
ficultés que nous rencontrons au quotidien,
travaillait jusqu'à vingt heures par jour.
Fatima a attendu deux ans avant de s'en -
en plus évidemment de la dimension inter-
Des violences psychologiques et physiques,
fuir. La journée, la jeune domestique sortait
nationale des enquêtes», explique Marco
comme en témoignent les brûlures de ciga-
faire des courses à la Migros et emmenait
Tumelero, chef suppléant du Commissariat
la couleur des jours 1 · automne 2011
Des fois je mange que ce qu'elle cuit pas et j'avale pas cequ'elle brasse, et je lui crache ses assiettes. Vulve est solide,elle bronche pas. C'est comme les bêtes: à force de voirce que ça fait le bâton, elles y pensent avant de mal faireet c'est comme ça qu'on les tient, par le souvenir et par lerespect du maître.
Le jour où est venu l'ouvrier, on a préparé la chambre.
J'avais demandé à Vulve de débarrasser une place à côtéde la maison, dans la serre où au printemps on met pousserles tomates et en hiver les salades, parce que les parois enverre gardent bien le chaud dedans. On a mis à l'intérieurune sorte de lit et une chaise, et Vulve a ramené une cou-verture très bien propre et des draps avec des fleurs quisentaient bon la lessive.
«Eh bien voilà, j'ai dit à Vulve, l'ouvrier sera ici réveillé
de bon matin dès que le soleil arrive. Il pourra pas essayerde faire son petit fainéant parce qu'on lui voit tout dedehors: s'il vient dire qu'il est malade ou s'il veut se mettreà fumer, il y a qu'à surveiller et dénoncer l'ouvrier.» »Deux extraits de Rapport aux bêtes, de Noëlle Revaz (Gallimard, 2002). On est au début du
Traite d'êtres humains et trafic de migrants.
sexuelle. Et le nombre de femmes prises en
roman. Paul, le paysan et narrateur, compare sa femme aux bêtes de la ferme. Leur relation
«Nous travaillons dans un domaine où la
charge par le Fiz Makasi à Zurich, qui est le
est déshumanisée. Et cet ouvrier qu'il s'apprête aussi à traiter en esclave va en fait aider tant
preuve n'est pas un objet mais un être
centre spécialisé pour la Suisse alémanique,
le rustre que sa victime à retrouver leur humanité.
humain. Sans un témoignage crédible de la
est toujours plus important», analyse le
victime, on ne peut rien faire. Malheureu -
fonctionnaire. Depuis la création de son
se ment, ces personnes sont souvent sans
bureau de direction permanent en 2006,
autorisation de séjour et comme elles sont
le SCOTT a appuyé plusieurs formations
et détecter d'éventuelles victimes d'exploita-
Vaud, une seule affaire de traite d'êtres
en infraction avec la loi, nous pensons qu'un
destinées notamment aux policiers romands
tion. «Il est évident que les femmes forcées
humains a été jugée comme telle, mais des
certain nombre d'entre elles sont expulsées
et a soutenu la mise en place d'une dou-
à la prostitution ne vont pas nous le dire car
dossiers sont en cours d'instruction et les
du pays sans avoir été identifiées.» Une nou-
zaine de tables rondes pour lutter contre la
elles sont à la merci de leurs souteneurs,
policiers de la CIPRO font régulièrement
velle législation prenant en compte les exi-
traite au niveau cantonal. «Le but de ces
mais nous sommes attentifs à leur compor-
face à des indices suspects. «Depuis le dé but
gences internationales en matière de lutte
mécanismes est de coordonner les différents
tement, à certaines réactions qui pour raient
de l'année, nous nous sommes penchés sur
contre la traite des êtres humains a permis
acteurs institutionnels, la police, la justice,
nous indiquer qu'il y a problème», explique
une trentaine de cas de traite ou d'exploita-
d'améliorer la protection des victimes sans
les autorités migratoires, les centres d'aide
l'agent avant d'entrer dans un salon de
tion sexuelle présumés, des situations qui
statut légal en Suisse. A condition qu'elles
aux victimes ou l'hôpital. En Suisse romande,
massage en périphérie de Lausanne.
nous ont été signalées et que nous sommes
témoignent. La loi leur donne un mois de
Vaud, Fribourg et Genève ont créé de telles
Les lumières sont tamisées et la musique
en train de vérifier.»
réflexion pour décider si elles porteront
structures, mais il faudra du temps pour
couvre les voix des quelques clients accou-
plainte, ce qui leur permettra le cas échéant
changer les mentalités des professionnels,
dés à des tables hautes. Une demi-douzaine
La fourgonnette de la police parcourt
d'obtenir un permis provisoire le temps de
car beaucoup ne considèrent pas la traite
de femmes originaires des pays de l'Est
les rues du quartier chaud de Lausanne.
la procédure pénale. Un progrès aux yeux des
d'êtres humains comme une réalité», dé -
travaille dans cet établissement, doté d'un
Michel connaît pratiquement toutes les
associations de défense des droits humains,
plore Laurent Knubel. «Or l'expérience le
bar. «Comme vous le voyez, les filles ici se
filles qui font le trottoir ce soir-là. Elles sont
mais cette nouvelle législation ne va pas
montre, lorsqu'on se donne les moyens de
déplacent librement malgré notre présence,
une cinquantaine et de plus en plus jeunes.
assez loin, à entendre Doro Winkler, du
rechercher des cas, on en trouve!»
elles vont fumer à l'extérieur et sont visible-
Jus qu'en 2008, la majorité des prostituées
centre Fiz Makasi à Zurich, spécialisé dans
Sur le terrain, la plupart des polices re -
ment détendues», décrit Michel avant de
de la capitale vaudoise étaient d'origine
la prise en charge des victimes de traite. «Si
nonce à mener une politique proactive de
procéder «au recensement de ces dames»,
brésilienne. Aujourd'hui, suite à la libre
la femme refuse de porter plainte, elle sera
lutte contre l'esclavagisme moderne, à l'ins-
comme le permet la loi vaudoise sur la
circulation des personnes et après le renvoi
expulsée et n'aura droit à aucune presta-
tar du canton de Neuchâtel, qui pense être
prostitution. Le gérant du lieu, un homme
de nombreuses travailleuses illégales, les
tion d'aide aux victimes! C'est pernicieux et
épargné par le phénomène. «Nous avons
d'une quarantaine d'années au visage buriné
ressortissantes de l'Est occupent la plupart
éthi quement difficilement défendable.»
eu cinq cas de traite d'êtres humains en
par le soleil – ou le solarium – observe le
huit ans, alors que l'on gère 14 000 affaires
contrôle à distance. De la routine policière,
La voiture banalisée passe devant de très
Le Service de coordination contre la
par année», révèle Olivier Guéniat, alors
rien d'alarmant… Ce qui l'inquiète davan-
jeunes femmes âgées de 18 à 20 ans, les
traite d'êtres humains et le trafic de migrants
chef de la police de sûreté neuchâteloise et
tage, ce sont les clients qui boudent depuis
talons hauts et la jupe à fleur de peau, avant
(SCOTT) est conscient de ces enjeux mais
actuel commandant de la police jurassienne.
des mois les salons de massage, à cause de
de s'arrêter devant le numéro 85 de la rue
certains analystes craignent un appel d'air
«De plus, nous n'avons pas de prostitution
la crise économique, estime-t-il, ou de la
de Genève. C'est ici, dans cette zone indus-
en cas de «loi trop laxiste». «Des personnes
de rue et notre loi obligeant les travail leuses
prostitution de rue apparemment en plein
trielle au cœur de Lausanne que les pros -
pourraient mentir dans le seul but d'obtenir
du sexe à s'annoncer a permis de rendre ce
essor. «J'ai déjà été approché par des trafi-
tituées de rue amènent leurs clients. Les
un droit de séjour en Suisse», estime Laurent
marché plus transparent.»
quants, des gens qui viennent vous proposer
couloirs sont dotés de caméras de surveil -
Knubel, responsable suppléant du bureau
des filles», confie le patron. «L'avantage, c'est
lance et le lieu est animé. Des travailleuses
de direction du SCOTT. Cet homme aux
Dans le canton de Vaud, la situation est
que vous pouvez avoir un meilleur tournus
redescendent attendre le prochain client;
cheveux bruns bouclés et au verbe facile est
«sous contrôle» d'après la police cantonale
et une offre plus variée pour les clients.
des hommes font la queue derrière une
installé dans un bureau sans fioriture dans
de sûreté, mais un travail de fond a été ini-
Mais mieux vaut ne pas mettre le doigt dans
porte close où s'ébat l'élue de leur soirée.
une des tours de Fedpol à Berne. Rattaché
tié par la «Cellule investigation prostitu-
l'engrenage, car ces réseaux réclament en -
«Ils attendent leur tour», commente Michel
à l'état major de la police fédérale, son ser-
tion» (CIPRO), chargée de combattre les
suite un pourcentage sur les passes.»
attentif aux réactions parfois impulsives des
vice s'attelle à créer les conditions cadres
organisations criminelles actives dans les
Le salon de massage est aux normes. Les
clients éméchés. «Les plus jolies filles peu-
pour améliorer la prévention, la lutte et la
milieux du sexe, l'exploitation sexuelle et la
policiers quittent les lieux dans le calme,
vent facilement faire dix passes par nuit»,
sensibilisation en matière de traite d'êtres
traite d'êtres humains. Un travail méticuleux
avec de sympathiques «à bientôt». «Il faut
ajoute son collègue Karim Hamouche.
humains en Suisse, un fléau qui semble
et exigeant, auquel s'adonne Michel durant
se méfier des apparences trompeuses de
Clara* est assise dans la cuisine d'un des
prendre de l'ampleur. «Les chiffres montrent
de longues nuits de travail. Cet inspecteur
conformité», précise Karim Hamouche,
studios du bâtiment. Devant elle, un ordina-
qu'il y a une véritable explosion du marché
plutôt avenant et doté d'une sensibilité
ins pecteur principal adjoint de la police de
teur portable. Elle surfe sur Facebook durant
de la prostitution dans notre pays, ce qui
humaine peu commune dans sa fonction
sûreté. «Ceux qui veulent passer inaperçu
sa pause. Deux clients se glissent discrète-
augmente considérablement le risque de
parcourt les scènes de prostitution du can-
font justement tout pour être en règle et ne
ment dans la pièce d'à côté. «Ici, il n'y a pas
victimes de traite à des fins d'exploitation
ton pour recenser les travailleuses du sexe
pas attirer l'attention.» Dans le canton de
beaucoup de femmes qui sont forcées»,
la couleur des jours 1 · automne 2011
explique la prostituée d'un ton nonchalant.
Son bureau étant couvert de documents
même si c'est dans une moindre mesure»,
«Ce qui me fâche, ce sont les Roumaines
confidentiels, elle prend place dans une salle
commente Gaëlle Van Hove, consciente des
qui bossent pour cinquante balles et parfois
sans âme au mobilier noir et blanc. «Nous
limites du système judiciaire. «Les gens sont
sans préservatif, juste là, en bas de la rue!
avons ouvert une instruction concernant de
rarement condamnés pour tout ce qu'ils
Les conditions de travail se détériorent et
la traite d'êtres humains dans le domaine
les clients ont des demandes de plus en plus
de la restauration», commence la magis-
Depuis 2006, la définition de traite a été
« Trois facteurs définissent
farfelues…» Les inspecteurs de la CIPRO
trate, qui était en charge de l'affaire jusqu'à
élargie dans le Code pénal suisse, compre-
la traite des êtres humains,
sont attentifs à ce genre d'informations, la
fin 2010. «Une douzaine de ressortissants
nant non seulement la prostitution forcée,
il faut qu'il y ait marchan -
sous-enchère pratiquée pouvant être un
indiens, pakistanais et bangladais ne parlant
mais aussi l'exploitation de la force de tra-
disation de la victime,
signe d'exploitation, voire de traite d'êtres
pas français et très mal l'anglais ont été
vail et le trafic d'organes, dont un cas a pu
humains. «Le fait de se prostituer pour si
utilisation de moyens
exploités dans un restaurant des Pâquis. Ils
être évité récemment à Genève. Mais la lutte
peu est un indicateur de la présence éven-
sont venus en Suisse avec un permis d'étu-
dans ces nouveaux domaines en est encore
déloyaux pour la faire venir
tuelle de souteneurs, qui insistent pour que
diant, ils étaient logés par le patron et très
à ses balbutiements. L'esclavagisme domes-
– chantage, menace,
les filles ramènent de l'argent coûte que
mal payés. L'un d'eux travaillait même
tique se pratique à l'ombre des jolies mai-
coercition ou abus de
coûte», commente Michel, qui reçoit en
gratuitement en échange du gîte et du cou-
sons helvétiques, à l'abri des regards et
situation de détresse –
moyenne deux appels par soir de la part de
vert! Mais il n'est pas sûr que la qualifica-
surtout de toute sanction sérieuse. Quant
prostituées lui demandant conseil ou lui
et qu'il y ait exploitation
tion de traite d'êtres humains soit retenue
aux secteurs à risque de la construction, de
signalant un problème.
au terme de l'instruction, car les employés
la restauration ou de l'agriculture, ils ne
au bout de la chaîne.»
semblaient plutôt consentants.»
bénéficient pour l'heure d'aucune politique
Selon Fedpol, une grande partie des ré -
Laurent Knubel, Fedpol (SCOTT)
Le Ministère public de Genève a été
de prévention ciblée.
seaux de traite d'êtres humains à des fins
confronté à d'autres affaires ces dernières
De leur côté, les acteurs syndicaux ne
de prostitution actuellement en activité
années concernant de la traite d'êtres hu -
parviennent pas à réguler les situations les
provient des pays de l'Est. En 2010, la plus
mains mais celles-ci n'ont jamais abouti à
plus critiques, dans lesquels les victimes
grosse affaire du genre, «Goldfinger», a
une condamnation. «Nous avons notam-
travaillent souvent clandestinement. «Nous
« Nous essayons de créer
abouti à la condamnation du principal pré-
ment dû classer un dossier concernant une
avons des centaines de cas à dénoncer à
venu à dix ans d'emprisonnement, la peine
un climat de confiance,
Chinoise qui a été séquestrée durant trois
Genève, mais on ne le fait pas, car les
la plus importante jusqu'ici prononcée en
semaines aux Acacias, après avoir refusé de
personnes risquent l'expulsion», déplore
pour que les langues
Suisse à l'encontre d'un trafiquant d'êtres
payer une seconde fois ses passeurs à son
Thierry Horner du syndicat SIT, un des
se délient dans un domaine
humains. Il avait organisé l'acheminement
arrivée en Suisse. Elle a été blessée au cou-
membres institutionnels du mécanisme de
où règne la loi du silence.»
et l'exploitation d'une quinzaine de femmes
teau alors qu'elle cherchait à s'enfuir. Nous
coopération contre la traite des êtres
hongroises d'origine rom, qui ont été
avons été contactés par l'hôpital où elle s'est
humains, mis en place par le canton de
Michel, inspecteur de la
contraintes et violentées des plus sordides
rendue.» La victime, qui était sans statut
Genève. «Nous avons beaucoup de situa-
Cellule investigation prostitution
manières. Malgré le retentissement du pro-
légal en Suisse, a apporté son témoignage
tions dans l'économie domestique, des per-
du canton de Vaud
cès et le démantèlement du réseau, les voies
mais a refusé la confrontation avec les pré-
sonnes exploitées et maltraitées dans les
de l'Est ne se sont pas taries. A Genève
venus, ce qui représente un droit fonda-
milieux diplomatiques et aisés. Mais aussi
notamment, les Hongroises sont de plus en
mental de la défense. «On lui avait proposé
dans l'agriculture où il y a des filières de
plus nombreuses sur les trottoirs de la cité.
une protection, mais elle était terrorisée
sans-papiers et dans la construction. Je
« On voit passer des choses,
Néanmoins, la police est catégorique. «Il
et elle a disparu dans la nature», explique
connais des hommes qui sont payés dix
n'y a pas de traite d'êtres humains sur le
Gaëlle Van Hove. L'affaire a été classée faute
francs de l'heure sur les chantiers, qui vivent
mais de là à arriver
territoire cantonal», annonce très officiel-
de prévention suffisante. Comme tant
à sept dans un trois-pièces et doivent verser
à une condamnation,
lement un porte-parole de la police gene-
d'autres. Dans le canton de Fribourg, la pro-
des sommes astronomiques pour un lit.
c'est tout un monde !»
voise. «Nous entendons chaque travailleuse
cureure Yvonne Gendre a instruit quatre
Pour moi, c'est de la traite d'êtres humains,
du sexe qui doit se présenter en personne
affaires de traite d'êtres humains en 2009,
mais ce ne sera pas forcément considéré
Gaëlle Van Hove, procureure à Genève
aux autorités et nous avons des contacts
dont une seule a été jugée. Deux autres ont
comme tel au sens juridique du terme. La
privilégiés dans le milieu. S'il y avait un
fini par un non-lieu par manque de preuves
Suisse a une définition très restrictive en la
problème, nous le détecterions.» Quant à
et une troisième a été transférée auprès des
matière. En plus, il y a des cas importants
savoir s'il y a des réseaux qui facilitent
autorités d'un autre canton. «La qualifica-
négociés à coup d'avocats, qui ne sortent
l'arrivée de ces jeunes femmes à Genève, la
tion juridique de traite est difficile à établir.
jamais au grand jour…»
police estime n'avoir pas les moyens de se
Heureusement qu'il y a d'autres articles qui
pencher sur la question.
permettent de réagir et de sanctionner,
Installé dans une petite salle de confé-
rence de Fedpol à Berne, Boris Mesaric, res-ponsable du SCOTT, ne comprend pas leretard des cantons romands dans la luttecontre cette forme d'esclavage moderne.
«Il y a un véritable Röstigraben en la ma -tière. Pendant longtemps, les autorités n'ontpas pris la mesure du problème en Suisseromande, mais heureusement les chosescommencent à bouger», estime le hautfonctionnaire alémanique. Selon un relevéde Fedpol, 23 enquêtes considérées d'im-portance concernant de la traite d'êtreshumains étaient en cours début 2011, dont14 à Zurich et aucune en Suisse romande.
«Mais nos données ne sont pas exhaustives,il n'existe pas encore de statistiques systé-matiques en la matière», précise l'expert.
«Il y a d'autre part un problème de sensibi-lisation de la justice. Les magistrats romandsont tendance à sous-exploiter l'article 182du Code pénal, préférant diviser le délit enplusieurs infractions: usure, contrainte, in -fraction à la loi sur les étrangers», ajouteson collègue Laurent Knubel. «Il y a globa-lement une méconnaissance du Protocolede Palerme et de la jurisprudence concernantces domaines.» Le SCOTT en est convaincu:le peu de cas recensés en Suisse romandene signifie pas que la région est épargnée,mais plutôt que les structures en place n'ontpas été en mesure de les détecter.
Les greffes du Ministère public du can -ton de Genève se situent dans un bâtimentcouvert de vitres bleutées, où un agent desécurité en costume cravate accueille le visi-teur. Les sacs sont passés aux rayons X dansl'entrée dotée d'un système de sécurité. Laprocureure Gaëlle Van Hove travaille dansune pièce lumineuse à l'angle du bâtiment.
Les collages qui accompagnent ce reportage sont d'Anne Iten.
s'intéresse au monde comme il va, ici, ailleurs et là-bas, sans frontières.
est un journal parce qu'il en a le papier et le format, l'odeur et la fragilité.
aime les temps qui changent, le soleil, la pluie et les nuages.
Source: http://www.coeur.ch/pdf/cdj_01_esclaves.pdf
Examining the Truth By Terry S. Friedmann, MD, ABHM and Sabina DeVita, EdD, DNM, RNCP with Karen Boren ■ Part I: Young Living Essential Oils The company manufactures and sells the highest quali-ty essential oils available anywhere in the world. Its As Young Living Essential Oils' products, influence, products are endorsed by hundreds of medical profes-
International Journal of Current Pharmaceutical Research Academic Sciences Vol 5, Issue 4, 2013 Research Article POTENTIOMETRIC CARBON PASTE ISEs FOR DETERMINATION OF FLUOXETINE HYDROCHLORIDE IN PHARMACEUTICAL PREPARATIONS EMAD M. HUSSIEN, NAHLA S. ISMAIL AND FATMA M. ABDEL-GAWAD National Organization for Drug Control and Research, Egypt. Email: [email protected]